jeudi 23 avril 2009

Le plan Bush contre le SIDA aurait-il permis de sauver 1,2 million de vie ?

Ce texte m'a été envoyé par un mystérieux "Professeur Bergamotte" qui s'intéresse davantage que moi aux revues médicales puisqu'il est médecin. Il a déniché un article qui méritait un commentaire et m'en a fort obligeamment communiqué un que je me fais une joie de publier. Qu'il n'hésite pas à intervenir dans le futur ! Et si d'autres chercheurs ou médecins ont le clavier qui les démange sur des sujets proches de ce que je publie moi-même, n'hésitez à me communiquer votre texte.

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En 2003, l'ancien président des États-Unis lançait un très ambitieux programme de lutte contre le SIDA nommé PEPFAR (President's Emergency Plan For AIDS Relief). Après quatre années et plus de 10 milliards de dollars dépensés, il était temps de faire le point. C'est ce qu'on fait deux universitaires de l'Université de Stanford (Californie), Eran Bendavid et Jayanta Bhattacharya. Le résultat a été publié le 6 avril dans la revue Annals of Internal Medicine. Précisons que la revue a un facteur d'impact élevé (autour de 15), donc cette étude est à priori sérieuse ; d'autre part les auteurs ne semblent pas être des adhérents du Grand Old Party. Curieusement cette étude n'a pas fait la une des journaux, bien qu'elle soit fort intéressante.
Pour les paresseux, allons directement aux conclusions de l'étude : le PEPFAR aurait permis de sauver 1,2 million de vie en diminuant la mortalité due au SIDA. En revanche il n'aurait eu aucun impact sur la prévalence de l'infection par le VIH.

Qu'est-ce que le PEPFAR ?
Pour ceux qui sont encore intéressés, passons maintenant aux détails. Tout d'abord, qu'est-ce que le PEPFAR ? Suite à une conférence onusienne de 2001, Bush décida d'apporter pas moins de 15 milliards de dollars à 15 pays dont 12 africains, en visant à la fois la prévention, les traitements et les soins médicaux. Ces pays furent sélectionnés sur leur engagement à lutter contre le SIDA, mais aussi sur la base de leur volonté à collaborer avec les États-Unis. Près de la moitié de cet argent est allé aux traitements antiviraux et aux infrastructures, et environ 20% à la prévention. Sur ces 20%, un tiers (ce qui représente environ 15 millions de dollars par pays et par an, à comparer aux 100 millions consacrés aux traitements) allait à des programmes exclusivement basés sur la promotion de l'abstinence. Le but original était de procurer des médicaments antiviraux à 2 millions de malades, et d'empêcher 7 millions de contaminations par le VIH sur cinq ans. En juillet 2008, le congrès a prolongé le plan de cinq ans en votant un budget de 48 milliards de dollars. Même si le dollar n'est plus ce qu'il était, cela représente des sommes impressionnantes.

La méthodologie
Les deux auteurs ont comparé des pays d'Afrique sub-saharienne, mettant dans un premier groupe ceux qui avaient bénéficié du PEPFAR, et dans un deuxième groupe les autres. N'ont été pris en compte que ceux pour lesquels des données épidémiologiques fiables étaient connues, et où l'épidémie était "généralisée", à savoir une prévalence supérieure à 1% dans les maternités et un mode de transmission essentiellement hétérosexuel. Les chiffres sur l'infection par le VIH et la mortalité due au SIDA proviennent de l'ONUSIDA (UNAIDS). La période 1997-2002 fut choisie comme référence "avant PEPFAR", puis la période 2004-2007 comme étant celle où le PEPFAR était en place. Trois critères furent retenus ; prévalence du VIH chez les adultes, mortalité due au SIDA, et le nombre total de personnes séropositives ou ayant le SIDA.

Les résultats
Tout d'abord, quel est l'effet du PEPFAR sur la mortalité due au SIDA ? En comparant les deux groupes de pays, on obtient une baisse de 10,5% dans le premier groupe, celui recevant le PEPFAR, comparé au groupe contrôle. Il semble donc que l'argent investi dans les programmes thérapeutiques et les infrastructures ont eu un impact très positif, d'autant plus que la différence a tendance à s'accentuer avec le temps.
En revanche, les autres indicateurs sont neutres. Le nombre total de personnes séropositives ou ayant le SIDA ne montre aucune différence statistiquement significative sur la période 2004-2007 entre les deux groupes de pays. On pourrait cependant argumenter qu'il doit y avoir un impact, car la baisse de la mortalité évoquée ci-dessus dans les pays recevant l'aide du PEPFAR pourrait masquer une baisse du nombre de nouveaux séropositifs. Mais il n'en est rien si on en juge par la prévalence du VIH (le troisième indicateur) qui ne montre pas non plus de différence, avec un déclin similaire dans les deux groupes. Cependant les auteurs indiquent qu'un effet sur la prévalence pourrait demander plus de quatre années de PEPFAR, et donc constituer un indicateur à surveiller de près pour les prochaines évaluations.

Conclusion
Comme je le disais au début (je me demande combien de lecteurs iront jusqu'ici), le principal succès du PEPFAR est à mettre sur le compte des thérapies antivirales et de l'amélioration des infrastructures qui auraient permis de sauver 1,2 million de vies. En revanche, aucun impact, ni négatif ni positif, ne peut être attribué pour le moment aux programmes de prévention, qu'ils soient basés sur l'abstinence uniquement, ou sur la formule ABC (abstinence, fidélité, préservatif). On peut donc en conclure que ces programmes ne sont en tout cas pas plus mauvais que ceux consistant essentiellement à distribuer des préservatifs.

PS : merci à AB d'accueillir ce texte sur son site.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens seulement de tomber sur ce texte. Je n'ai pas pu trouver cette information sur le web francophone ailleurs que chez vous. Merci donc au "Professeur Bergamotte". Si on doit remercier Bush de quelque chose, c'est bien de son action contre le SIDA en Afrique. Avec les catholiques, il aura fait plus que tous les autres, au moins sur ce point.

Charlet a dit…

Pour confirmer le commentaire d'Anonyme, on peut aller lire l'article du Monde sur Bush, le SIDA et l'Afrique à l'adresse suivante : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/19/george-w-bush-le-sida-la-politique-et-la-religion_1143536_3222.html
Même le New York Times, et avec lui Le Monde, sont à coté de la plaque...